Notre Église est blessée au plus profond d’elle-même. Il y a deux mois, j’ai reçu un homme défiguré au plus profond de son être par un prêtre du diocèse qui l’avait violé durant une confession !
J’ai pris le temps de lire le livre “Sodoma” et je me suis arrêté après 450 pages avec l’envie de vomir et de pleurer devant- au dire de l’auteur - une telle description de la double vie homosexuelle de trop d’ecclésiastiques, prêtres, évêques et cardinaux de l’Église à Rome et ailleurs, mais j’ai dû aller lire les dernières pages, après avoir lu dans le journal “la Provence” qu’à la fin de son livre l’auteur in-croyant homosexuel faisait mémoire d’un de ses amis prêtre d’Avignon religieux, le Père Louis, mort du sida à Aix oublié pour ne pas dire rejeté de tous au milieu des années quatre-vingt-dix.
J’ai voulu regarder le film de France 2 sur la vie des deux frères prêtres, Marie-Dominique Philippe et son frère. Je n’ai pas eu le courage de regarder le film sur les horreurs du Père Preynat !
Et je pense aussi à un prêtre d’Avignon envoyé à l’Isle sur la Sorgue parce qu’il était pédophile à Lyon qui a continué sa triste besogne à l’hôpital de l’Isle-sur-la-Sorgue.
Je pourrais à partir de mon expérience africaine continuer ce terrible chapelet des turpitudes du clergé ! Des jeunes femmes données aux séminaristes pour la durée de leur stage pastorale ; un curé de paroisse trouvé un après-midi de Noël entre les bras de deux jeunes femmes nues dans son lit !
Depuis, je suis habité par beaucoup de tristesse et par un triple désir :
- celui de me retirer dans un monastère pour prier mon péché et celui de mes frères ;
- celui de m’identifier au publicain qui, au fond du Temple, ne cesse de répéter “Seigneur, ait pitié du pécheur que je suis !” Et nous le sommes tous, laïcs, clercs, religieux et religieuses : blessés par le péché originel, nous sommes tous capables du pire ;
- mon autre désir durant cette semaine sainte est de mettre mes pas, avec vous tous, dans ceux du disciple bien-aimé et d’accompagner mon Seigneur sur le chemin du calvaire. Lui l’Innocent crucifié, il n’a plus visage humain, il est défiguré par le péché des multitudes, par mon péché, par notre péché à tous. Aucun d’entre nous ne peut justifier son péché par celui des autres, le mal est toujours quelque chose d’horrible.
En contemplant l’Innocent crucifié, j’entends l’humanité toute entière qui se moque de lui : les autorités civiles, religieuses et militaires sont là au pied de la Croix ; les soldats l’avaient revêtu d’une tunique pourpre, d’une couronne d’épines et d’un roseau en guise de sceptre et ils se moquaient de lui. Sur la Croix, ils ont cloué une inscription : “le roi des juifs” et ils se sont partagé ses vêtements, et il est là nu portant tous les péchés de la chair, tout le déchaînement de notre monde où la pornographie règne partout détruisant tout sur son passage, défigurant les enfants et les jeunes. La beauté de la sexualité de l’homme et de la femme est bafouée à chaque instant toujours et partout.
Il a été dépouillé de tout, il porte en lui notre monde occidental déboussolé, pour qui seul l’avoir compte, sans oublier notre bien-être, quel qu’en soit le prix ; nous n’avons pas compris que c’est l’amour seul qui compte ! Et il trouvera la force de crier : “J’ai soif !” Oui, il a soif de notre amour et nous ne le comprenons pas.
Enfin, dans un ultime effort, il trouve la force de dire à sa mère en lui montrant son disciple bien-aimé, en nous montrant tous : “Voici ton fils” ; et nous l’entendons lui dire et nous dire à tous : “Voici ta mère”. Et l’évangéliste ajoute : en grec “à partir de cette heure-là, il la prit chez lui” et en araméen dans la tradition orientale “à partir de cette heure-là, elle le prit chez elle”. Impossible de vivre en Christ sans vivre dans l’intimité de Marie ! Alors inclinant la tête, il rendit l’Esprit, il donna l’Esprit, qui reçoit pour mission de mettre de l’ordre dans notre tohu-bohu à tous, dans le chaos de nos vies, pour donner vie à l’Église.
Mais déjà les soldats romains s’approchent pour terminer leur sale besogne à la veille de la Pâque, ils cassent les jambes du premier et du second des condamnés qui entourent Jésus et voyant que lui était déjà mort, un soldat se contenta de lui donner un coup de lance et de son cœur transpercé jaillirent les sources de la vie. La petite source qui coule de dessous le côté droit du Temple et qui va donner la vie au monde, les torrents de la miséricorde peuvent jaillir sur le monde pour nous rejoindre tous et nous rendre la vie.
Nous allons puiser à cette source pour consacrer les saintes huiles, sources de tous les sacrements qui donneront vie à notre Église diocésaine tout au long de cette nouvelle année. Avec le disciple bien-aimé, venons tous puiser à cette source qui coule du cœur de Jésus, répands sur nous sa miséricorde et nous donne d’avoir part à son Esprit.
En même temps, personnellement, au pied de la Croix, je voudrais mendier pour moi, pour tous mes frères prêtres et pour tous mes frères chrétiens une grâce de conversion à la source même de la miséricorde et de la vie.
N’ayons pas peur d’employer les moyens nécessaires pour soigner les maladies de l’âme très bien décrites dans un petit livre écrit en 1600 par un jeune jésuite, Claudio Acquaviva, livre que chaque jeune jésuite recevait au début de sa formation et que le pape François avait gardé en mémoire puisqu’il l’a utilisé pour offrir ses vœux à la curie il y a quelques années.
Les remèdes à toutes ces maladies nous viennent de cette source d’eaux vives qui donne la vie partout où elle passe, je vous en fais un inventaire rapide :
- se sentir indispensable et refuser les remises en cause, les con-trôles nécessaires ou habituels ; comment s’améliorer sans se mettre en cause ?
- agir à la manière de Marthe dans une activité excessive, noyé dans le travail en oubliant la meilleure part nécessaire à chacun : venir s’asseoir au pied du Maître pour être avec lui et écouter sa parole.
- agir en ployant sous les papiers jusqu’à devenir des machines à dossiers et non plus des hommes de Dieu.
- vouloir tout planifier de façon excessive. Certes, il est néces-saire de tout bien préparer, mais sans jamais tomber dans la tentation de vouloir enfermer et piloter la liberté de l’Esprit Saint qui reste toujours plus grande, plus généreuse que toute planification humaine.
- perdre la communion et l’obéissance au point que le corps entier perd son fonctionnement harmonieux et ne vit plus dans un esprit de communion et d’entraide fraternelle.
- oublier notre premier amour et laisser la médiocrité empoisonner notre vie.
- vivre dans la rivalité, les distinctions et les promotions devenant l’objectif premier de notre vie.
- vivre une schizophrénie existentielle, celle de ceux qui mènent une double vie reposant sur un immense vide spirituel
- murmurer et vivre dans le commérage des semeurs de zizanie qui deviennent vite homicides de sang-froid.
- courtiser pour obtenir tel poste correspondant à notre plan de carriérisme. Nous honorons les personnes et non Dieu.
- être dans l’indifférence envers les autres, je ne parle jamais que de moi-même et toujours en bien avec beaucoup de charité
- être grincheux et tristes en toutes circonstances, tout sauf une image de Ressuscité
- accumuler pour combler son vide existentiel de biens matériels au point de pouvoir organiser des vides greniers substantiels chaque trimestre.
- s’enfermer dans des cercles où l’appartenance au groupe devient plus importante que l’appartenance au Corps du Christ
- enfin, vivre dans le monde à la manière du monde, l’apôtre transformant son service en pouvoir, et son pouvoir en marchandise pour obtenir des profits mondains ou plus de pouvoirs.
Face à tout cela, mettons nos pas dans ceux du disciple bien-aimé, entendons battre le cœur de Dieu au soir de la Cène et au pied de la Croix laissons descendre sur notre monde et sur chacun de nous les sources de la miséricorde. Et surtout que personne parmi nous ne passe à côté du sacrement de la réconciliation avant l’aube de pâque.
+ Jean-Pierre Cattenoz, archevêque d’Avignon