Au moment de passer de ce monde à son Père, Jésus a voulu nous laisser sa présence, il a voulu se donner à nous pour faire de nous son corps, pour nous unir à lui. Il nous invite à nous laisser attirer par lui. Jésus sait que son heure est venue, l’heure de sa glorification sur la croix où, élevé de terre, il nous attirera tous à lui pour nous entraîner vers le Père.
Le coeur de Jésus est bouleversé, il part vers le Père, mais que vont devenir ses disciples, tous ceux qui viendront de génération en génération pour marcher à sa suite ? Il ne veut pas les laisser orphelins, il ne veut pas nous laisser orphelins, il nous laissera sa présence, présence mystérieuse qui éclate dans chacune de nos eucharisties.
Il est là en chacune de nos assemblées : “Quand deux ou trois sont rassemblés en mon nom, je suis là au milieu d’eux.”
Il est là dans sa parole qu’il nous donne à chaque eucharistie. Et si nous accueillons cette parole pour ce qu’elle est, la Parole même de Dieu, elle descend en nous et accomplit en chacun de nous son œuvre d’amour, elle fait germer en nous la foi, une foi vive, seul moyen approprié pour nous unir à lui ici-bas.
Il est là dans le prêtre qui célèbre l’eucharistie. Le prêtre est vraiment le signe et le moyen par lequel Jésus est présent et agissant en chaque eucharistie pour nous donner son corps en nourriture et faire de nous son corps.
Il est là présent sous les apparences du pain et du vin, il est là pour se donner à nous, nous unir à lui et nous donner la Vie. “Si vous ne mangez pas la chair du Fils de l’homme, et si vous ne buvez pas son sang, vous n’aurez pas en vous la Vie... Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi et moi en lui.”
Il est là présent en chacun de nous, il ne cesse, d’eucharistie en eucharistie, de se répandre en nous, de nous donner la vie. Qu’est-elle cette vie qu’il nous donne ? Elle est participation à sa nature divine par la grâce. Jésus se donne complètement à nous pour que nous devenions lui. Comme le fait remarquer saint Augustin : C’est lui qui nous mange, c’est lui qui nous prend, nous assimile à lui, nous fait lui ; il nous donne tout ce qu’il a, en réalisant progressivement en nous l’union avec lui, une ressemblance d’amour, une identification à lui. Voilà la preuve suprême de l’amour : il se donne à nous pour que nous devenions lui.
Nous pouvons donc dire avec saint Paul, en toute vérité : “Je vis, mais ce n’est plus moi, c’est le Christ qui vit en moi, car ma vie présente dans la chair, je la vis dans la foi au Fils de Dieu qui m’a aimé et s’est livré pour moi.”
Pourquoi donc Jean, lui le disciple bien-aimé, lui qui a pénétré si profondément les secrets du coeur de Jésus ne nous dit-il rien de l’Institution de l’eucharistie ? Mais par contre pourquoi nous rapporte-t-il en détail le lavement des pieds et ensuite nous livre-t-il longuement le testament de Jésus ? Et s’il avait voulu par là nous aider à entrer encore plus profondément dans le mystère de la présence du Christ au milieu de nous ?
Le Christ est venu rassembler les enfants de Dieu dispersés, il a prié et œuvré pour que “tous soient un comme toi, Père tu es en moi et moi en toi.”
Par et dans l’eucharistie, il se donne à nous et il agit en nous comme source d’unité, d’amour, de joie, de paix. La présence de Jésus en nous réalise et reconstruit continuellement en nous l’unité dans l’amour.
Voilà pourquoi, dans son évangile, le disciple bien-aimé nous livre en lieu et place du récit de l’institution de l’eucharistie, les deux grandes lois permanentes de la vie même de la communauté chrétienne, de l’Église, nous garantissant la présence continue du Christ parmi nous.
La première loi commence par un geste, celui du lavement des pieds que Jésus explicite ensuite en nous disant : “ce que j’ai fait, faites-le vous aussi”, faites vous serviteurs de vos frères ; dans l’humilité, soyez toujours prêts à être serviteurs les uns des autres. Il faut se donner les uns aux autres en payant humblement de sa personne.
La seconde loi, qui ne se différencie de la première que par la forme, est le commandement nouveau : “Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés.”
Pour le disciple bien-aimé, le précepte de l’amour consiste précisément dans la présence du Christ en nous comme force d’unité et dans notre présence en lui comme seule source d’unité et de vie.
Il est également le lieu où nous pouvons vérifier la vérité de notre amour pour Dieu : “Tout homme qui aime est né de Dieu et connaît Dieu, celui qui n’aime pas n’a pas connu Dieu car Dieu est Amour.”
Oh oui, mangeons son corps et buvons son sang pour qu’il puisse nous identifier à lui ! - Oh oui, faisons-nous serviteurs les uns des autres jusque dans les petites choses de la vie quotidienne, car c’est à l’amour que nous aurons les uns pour les autres que tous nous reconnaîtront comme ses disciples ! Oh oui, livrons-nous au commandement de l’amour ; identifiés à Jésus demandons à l’Esprit Saint qu’il nous donne d’aimer comme Jésus nous a aimés.
+ Jean-Pierre Cattenoz
12 avril 2003