Mais voilà que le ciel s’est obscurci, des trombes d’eau se sont abattues sur nos villes et nos villages, nos rues ont été inondées, nos maisons envahies par l’eau et la boue. Certains ont dû abandonner leur maison aux eaux déchaînées. Comment ne pas se décourager ? Si c’était la première année, mais les sinistrés peuvent faire le décompte : il y a eu l’an dernier et pour certains plusieurs fois, il y a eu 1992, sans oublier les autres crues du Lez, de l’Ouvez ou du Rhône. Les bras nous tombent, que faire ? Comment réagir ?
Nous rêvions d’un Noël en famille, tout simple, sans tension, sans souci où nous pourrions prendre le temps d’écouter ensemble la pastorale des santons de Provence ou la pastorale Morel en nous émerveillant devant le mystère de Noël, un mystère qui deviendrait le nôtre.
Dans toute nos crèches nous mettions toujours un ravi, il est peut-être même un des personnages les plus importants de nos crèches, il nous invitait à nous frotter les yeux pour les ouvrir sur toutes les merveilles de Dieu, nous sommes tous un peu des aveugles, incapables de voir tout ce qu’il y a de beau dans notre monde. Mais voilà que le ravi nous prenait par la main et nous emmenait avec lui pour nous aider à découvrir tout ce qu’il y avait de beau autour de nous, pour nous donner d’accueillir la vie comme un merveilleux cadeau de Dieu. Comment ne pas se réjouir et rendre grâce devant la présence et l’action de Dieu dans nos vies !
Mais cette année, Noël aura un goût amer dans de nombreuses familles, il faudra se dépêcher pour terminer de tout nettoyer avant Noël, il faudra de nouveau remplir d’innombrables bordereaux pour l’administration, les assurances, attendre le passage des experts, mais tout cela ne remplacera pas tout ce qui a été perdu. La crèche elle-même aura un goût d’inondation, même avec son sapin, ses moutons, son âne et son boeuf. Joseph et Marie seront là et nous mettrons en place l’enfant Jésus, le moment venu.
Et si le miracle se produisait ? Dans la nuit de Noël, l’enfant Jésus va naître, il sera là, sa présence humble et silencieuse nous rejoindra tous et chacun, et plus rien ne sera comme avant. Le Père, bouleversé devant toutes nos souffrances, contemplera l’enfant, son Fils, le Bien-aimé et son cour de Père se réjouira : son amour va pouvoir se répandre et se donner pour venir panser nos plaies, guérir nos blessures et nous apprendre à être entre ses mains paternelles ses enfants bien-aimés, plein de confiance et d’abandon, comme l’enfant de la crèche.
L’Esprit Saint qui, depuis le jour de l’Annonciation, a pris les choses en main, est là à pied d’œuvre ; il contemple l’enfant Dieu et il nous voit tous en lui. Et, en ce Noël 2003, son unique désir est de nous réchauffer du feu de son amour divin ; tous ceux qui s’approcheront de la crèche avec et comme les bergers, les mains vides vont vivre comme une pentecôte d’amour.
La Vierge Marie est là, elle a enveloppé l’enfant de langes, elle l’a couché dans une crèche. Elle reste là à la contempler avec son cour de Mère, de Mère de Dieu et en lui, elle nous voit tous. Son amour de Mère prend une nouvelle dimension, une dimension divine, elle est vraiment Mère de Dieu. Son regard débordant de tendresse se pose sur l’enfant et sur chacun de nous ; elle voudrait avoir pour chacun une délicatesse maternelle, celle même qui l’unit à son enfant l’unit à chacun de nous pour le rejoindre au cœur de sa souffrance.
Joseph, comme toujours, reste dans l’ombre, dans le silence, il n’en est pas moins actif, il pose son regard sur l’enfant, sur Marie et il ne peut s’empêcher de repenser aux paroles de l’ange gravées dans sa mémoire : « Prends chez toi, Marie ton Épouse car ce qui a été engendré en elle vient de l’Esprit Saint, elle enfantera un fils et il s’appellera Emmanuel, Dieu avec nous ». Alors, il nous regarde tous, car depuis, il l’a compris, sa mission a été de donner une famille humaine à l’enfant Dieu, sa mission sera toujours de veiller sur nos familles humaines et depuis des années, il ne chôme pas. Il était charpentier et il voudrait bien pouvoir continuer à charpenter toutes nos familles humaines pour leur donner une âme et beaucoup d’amour.
Les anges dans le ciel ne resteront pas inactifs ! Ils ont vu toute la terre inondée et ils viennent nous dire, comme autrefois, ces mots venus de la bouche de Dieu : « J’ai vu la misère de mon peuple et je suis descendu pour le libérer de tous ces germes de mort et lui rendre la vie ! »
Alors, leur désir à eux aussi est de parcourir le monde pour annoncer la nouvelle à l’univers entier. Ils commencent par les bergers, tous les pauvres de la terre ; cependant, ils prennent le temps d’allumer une étoile pour prévenir les mages ainsi qu’eux aussi se mettent en route.
Et voilà qu’ils assistent émerveillés au mystère de Noël : en cette nuit, dans notre Provence meurtrie, l’enfant est né, il vient de naître en chacun de nous. Marie continue à être Mère, elle a pris l’enfant et l’a déposé en chacun de nous pour qu’il s’incarne en nous, qu’il prenne chair en nous. S’il est né il y a deux mille ans à Bethléem en Judée, c’est pour pouvoir naître aujourd’hui en chacun de nous. Ainsi se continue le grand mystère, il est là, il ne nous demande rien sinon de l’accueillir et il fera tout en nous, il fera toutes choses nouvelles en chacun de nos cours déchirés. Déjà Marie pose son regard sur chacun de nous et en nous elle contemple son Fils ; déjà ne sentez-vous pas l’Esprit Saint vous embraser du feu de l’amour divin ? Oh non, ne dites rien, simplement accueillez-le, laissez-le naître au cour de votre pauvreté, au cour de votre misère et, dans la foi, posez votre regard sur lui, un regard chargé d’amour et d’espérance.
+ Jean-Pierre Cattenoz
Décembre 2003