En ce début de carême, j’ai mal pour mon pour mon pays : je le vois s’enfoncer dans une spirale d’horreur où, après avoir présenté le mariage pour tous comme une avancée sociale, nos gouvernants s’apprêtent à faire voter une loi sur la famille avec un droit à l’enfant qui l’emportera sur le droit des enfants. Une mère porteuse donnera la vie à un enfant et dès sa naissance il sera donné ou « vendu » à un « couple d’hommes ». Personne ne s’intéresse au traumatisme que cela représentera pour l’enfant de se voir séparer de SA mère pour être élevé par deux « papas ». Ensuite, ne vous y trompez pas, tout est programmé, il y aura l’euthanasie ou plus exactement pour ne pas froisser les consciences délicates, « le droit à mourir dans la dignité ». Comme autrefois pour le droit à l’avortement, on modifie le vocabulaire « pour en cacher la véritable nature et en atténuer la gravité dans l’opinion », « mais aucune parole ne réussit à changer la réalité des choses : l’avortement provoqué est le meurtre délibéré et direct, quelle que soit la façon dont il est effectué, d’un être humain dans la phase initiale de son existence » (Le Bienheureux Jean-Paul II, l’Évangile de la vie, n°58). Il en sera de même pour l’euthanasie qui nous rappelle de tristes souvenirs. Il restera à voter le droit à l’eugénisme qui nous permettra de nous débarrasser de tout enfant chez qui apparaîtrait un handicap trop lourd et pour la famille et pour la société.
En ce début de carême, j’ai mal pour mon pays : je le vois s’enfoncer dans une crise économique sans précédent, des usines ferment par centaines, plus de mille au jour d’aujourd’hui depuis seulement quatre ans. Des dizaines de milliers de personnes perdent leur emploi du fait de ces fermetures sans compter tous les emplois induis chez les sous-traitants. Arcelor-Mital, Goodyear, Petite couronne, et la liste s’allonge de semaine en semaine. Chaque jour dans ma prière, je porte tous ces hommes et ces femmes qui se retrouvent au chômage et souvent n’osent même pas l’annoncer à la maison car ils mesurent la catastrophe que cela représente. La soupe de l’amitié, l’accueil de jour du Secours Catholique, du Secours populaire ou des Restos du cœur, autant de structures qui n’arrivent plus à faire face à l’impossible. Les subventions de l’État ou de l’Europe sont en chute libre et des familles entières s’enfoncent dans la misère et la précarité. Pendant ce temps, d’autres vont s’installer en Belgique ou ailleurs pour sauvegarder leur patrimoine. Aller comprendre !
Face à tous ces drames, Il n’a plus figure humaine, il ressemble à une loque humaine, comme un agneau qu’on mène à l’abattoir, il n’ouvre pas la bouche. Pourtant il prenait sur lui nos maladies, il se chargeait de nos infirmités. « Il était méprisé, abandonné de tous, homme de douleur, familier de la souffrance, semblable au lépreux dont on se détourne. Pourtant s’était nos souffrances qu’ils portait, nos douleurs dont il s’était chargé » (Is 53,3-4).
Je ne peux quitter des yeux sa croix. Avec le disciple bien-aimé, je reste là à regarder. Je l’entends dans un dernier sursaut s’écrier : « J’ai soif ! ». Oui, il a soif d’un monde nouveau, il a soif d’une humanité enfin réconciliée avec elle-même, il a soif de laisser déborder sur le monde les sources de l’amour, les sources de la vie. Elles vont couler de son côté transpercé, enfin il va pouvoir donner, répandre l’Esprit, mais allons-nous l’accueillir ?
Mystérieusement, au moment même où les disciples ont tous disparu, où la foule, les soldats, les grands prêtres, tous se déchaînent contre lui pour crier à Pilate : « Crucifie-le ! Crucifie-le ! Libère-nous Barabbas ! », Lui, le Fils du Père donne sa vie pour que nous tous, nous puissions retrouver notre dignité d’enfant bien-aimé du Père.
Pendant ce temps de carême, je voudrais pouvoir rester à contempler le crucifié pour lui dire : « Aie pitié du pécheur que je suis ! » Alors, je pourrai l’entendre me dire comme au bon larron : « Aujourd’hui même, tu seras avec moi en paradis ! »
Bon carême à tous.
+ Jean-Pierre Cattenoz, archevêque d’Avignon