Il est quinze heures, depuis des heures il est cloué sur la croix, il n’a plus visage humain ; il a pris sur lui nos maladies, il s’est chargé de nos infirmités, il porte le péché des multitudes mais son cœur divin continue à battre au rythme de l’amour. Un cri jaillit de son cœur : « J’ai soif ! J’ai soif de ton amour, de votre amour à chacun car vous existez pour vivre d’amour ! » Alors, tout est fini ou plutôt tout est consommé, il incline la tête et donne, répand l’Esprit.
L’Amour qui oppressait son cœur peut maintenant jaillir, l’Esprit commence sa mission de faire jaillir l’amour. Les soldats romains viennent achever leur sale besogne, ils exécutent les deux autres condamnés puis ils voient que Jésus est mort, mais par précaution ils lui donnent le coup de grâce, ils lui percent le côté. Les femmes sont là, elles sont prêtes à témoigner, mais c’est le disciple bien-aimé qui nous dit ce qu’il a vu : « De son cœur transpercé jaillissent de l’eau et du sang ! »
Et depuis 2000 ans, des fleuves d’eau vive descendent sur notre pauvre monde pour lui redonner vie. Nous restons tous des paumés, des blessés de la vie et ne cherchez pas à vous justifier, nous en sommes tous ! Mais, il ne cesse de nous donner l’Esprit et celui-ci dans notre cœur le plus profond fait sourdre la vie, fait sourdre l’amour, un amour qui se répand en nous pour irriguer notre être tout entier. Nos carapaces sautent les unes après les autres au rythme de Celui qui nous habite, au rythme de l’amour.
La Croix continue à s’enfoncer dans notre terre humaine et sur le bois de la Croix, il est là les bras grands ouverts, il enserre le monde lui le Fils de Dieu, il ne le lâchera plus. Désormais, en Lui le ciel et la terre ne font plus qu’un, désormais les ténèbres s’effacent pour que jaillisse la Lumière, la Vie. Mystérieusement, ce lieu de mort, le calvaire, devient source de vie et élevé de terre, il nous attire tous à Lui, en Lui. Ma vie continue à porter en elle cette odeur de mort qui règne sur le calvaire, le péché m’a défiguré, moi non plus, je n’ai plus visage humain, mais je n’ai plus peur de regarder la réalité en face, ma place est avec les pécheurs, mais je me sais aimé et cet amour me transfigure d’instant en instant tout en me laissant avec mes blessures, quel mystère !
Avec Jean, le théologien, le disciple bien-aimé, je ne cesse de contempler le crucifié, je suis fasciné par son cœur débordant d’amour et je m’interroge : lui qui porte le péché des multitudes de puis plus de 2000 ans, comment réagit-il devant ces torrents de boue qui déferlent sur le monde, sur Lui, venant du plus profond de chacun de nous ? Mais en lui, la seule trace que je perçois de toute cette boue, de toutes ces haines, de cet orgueil abyssal, est un surcroit d’amour.
Son amour de création, cet amour avec lequel il avait voulu toute la création et chacune de ses créatures, cet amour devient amour de miséricorde. Son cœur est bouleversé devant un tel gâchis, son cœur est bouleversé par la situation dans laquelle je me suis mis, dans laquelle chacun de nous s’est enfermé, un véritable enfer ! Son cœur divin, littéralement maternel, ses entrailles divines sont bouleversées devant une telle catastrophe et il fera tout pour venir guérir nos plaies qui ne sont plus que puanteur et pourriture. Il fera tout pour nous prendre par la main et nous serrer sur son cœur et de nouveau mon cœur pourra battre au rythme de son cœur.
J’avais tout gaspillé, j’avais mené et je mène une vie de galère mais lui, il a été plus loin encore, il m’a aimé et il m’aime tel que je suis jusqu’à mourir pour moi sur une Croix. Mais la mort n’a pas eu de prise sur Lui, elle n’a pas de prise ; il est sorti, il sort vivant du tombeau. Sa tombe est devenu source de vie, l’odeur de mort est devenu odeur de vie, le Crucifié est devenu l’initiateur de la vie, d’une vie nouvelle qui me rejoint dans ma misère. Je n’ai plus honte de me savoir misérable car je me sais aimé tel que je suis.
Avignon commence à frémir du festival à venir, un lieu où notre humanité s’interroge sur son sens, de nombreuses affiches se préparent et nombre d’entre elles seront marquées comme chaque année du signe de la croix d’une manière ou d’une autre comme si tout ce monde du festival percevait que la Croix est le lieu où jaillit la vie et où l’homme trouve son sens.