Depuis quelques jours, nos cimetières reprennent vie, nombreux sont ceux et celles qui viennent nettoyer les tombes familiales, une tradition en ces jours de Toussaint. Laissées souvent à l’abandon tout au long de l’année, les tombes de nos ancêtres et de nos proches trop tôt disparus retrouvent aujourd’hui une nouvelle jeunesse et fleurissent à nouveau. Les chrysanthèmes sont là pour nous rappeler que la vie l’emporte sur la mort, et leurs fleurs témoignent du désir de vie qui habite le cœur de tout homme.
Pourtant la mort fait partie de la vie, elle en est même un élément contradictoire. En effet, durant toute notre vie, nous ne cessons d’accumuler toute sorte de biens ; nos maisons se remplissent d’une multitude de choses et beaucoup d’entre nous pourraient faire de véritables vide-greniers avec tout ce qui habite leur demeure. En même temps, nous le savons bien, nous ne pourrons rien emporter ; je n’ai jamais vu un convoi funéraire suivi d’un camion de déménagement et, comme le disait le vieux Job : « nu je suis sorti du sein maternel, nu j’y retournerai ». Nul n’échappera à la mort, riche et pauvre, les jeunes et les vieux. Beaucoup de gens ont peur de la mort, ils se refusent de la regarder en face, et font tout pour l’oublier, mais le moment venu, elle n’oubliera personne.
Et si la mort venait donner son véritable sens à notre vie ? Mais d’abord, quel est le véritable sens de la vie ? Elle commence habituellement par des pleurs devant cet environnement si dur qui nous est imposé brutalement. Dans nos sociétés, l’enfant passe quelques années dans un bonheur apparent, tout le monde s’occupe de lui, il est entouré de soin et son temps consiste à manger et à dormir tout en découvrant progressivement le monde qui l’entoure. Mais très vite, l’enfant doit découvrir l’école et le travail, et ce n’est qu’un commencement, il n’en a pas fini d’étudier, de travailler, de passer des soirées à “bosser”. Devenu adulte, il aura la joie de se marier et de fonder une famille, mais très vite il lui faudra se remettre au travail pour subvenir aux besoins des siens. Enfin viendra le temps de la retraite où chacun pense enfin pouvoir connaître un temps de repos, illusion des illusions, car le temps passe de plus en plus vite au fur et à mesure que les forces diminuent et que tout mouvement devient plus lent. Chacun s’aperçoit alors que ses forces lui échappent, il marche plus lentement, tout le monde le dépasse, le bouscule jusqu’au moment où les portes d’une maison de retraite s’ouvrent devant lui. Il ne lui reste plus qu’à battre en retraite jusqu’à la fin que nos gouvernants voudraient nous obliger à appeler le droit à mourir dans la dignité grâce à une piqûre qui nous permettra de nous endormir paisiblement pour trouver enfin le repos. Heureusement, tout cela n’est qu’une caricature digne du plus mauvais “Charlie”.
Pour nous, chrétiens, la vie a un tout autre sens, elle n’a pas pour but de nous permettre de nous enrichir d’un avoir que nous devrons tous abandonner le moment venu, mais elle a pour but de nous permettre d’apprendre à vivre en nous dégageant de nous-mêmes et de tous nos “avoirs” pour nous recevoir de notre Père du ciel en Jésus, son Fils bien-aimé. Il n’y a pas d’autre chemin de vie et il est étrange de voir combien peu de chrétiens ont conscience que nous ne pouvons trouver la vie sinon dans le Christ.
Pourtant, nous le savons tous, le désir le plus profond qui nous habite est celui du bonheur ; et nous savons tout aussi bien que seul l’amour nous permettra de trouver le chemin du bonheur ! En même temps, nous faisons tous la triste expérience de notre incapacité à aimer et avec saint Paul, nous pouvons l’affirmer : malheureux homme que je suis, je ne fais pas le bien que je voudrais et je fais le mal que je ne voudrais pas !
Mais heureusement, Dieu, le Père, nous a tant aimés qu’il nous a donné son Fils qui est venu partager notre aventure humaine pour nous donner de retrouver le chemin de la vie. Il s’est chargé de nos infirmités, il a pris sur lui nos maladies, il n’avait plus visage humain devant une telle masse de péchés. Il a tout pris et est mort à notre place à tous. Mais la mort ne pouvait le garder prisonnier, il est sorti vivant du tombeau, les disciples peuvent en témoigner, ils ont vu le tombeau vide, mais surtout, ils l’ont vu après sa résurrection d’entre les morts, ils ont mangé et bu avec lui, il portait encore la trace des clous et son côté restait ouvert suite au coup de lance et de son côté continuait de jaillir les sources de la vie, les sources de l’amour.
Désormais, il nous propose d’avoir la vie en lui. Au jour de notre baptême, nous avons commencé à vivre d’une vie nouvelle en lui, mais cette vie divine qui nous a été donnée en germe doit encore déployer toutes ses virtualités divines pour nous permettre de devenir fils dans le Fils et cela est la grande affaire de toute notre vie. Notre chemin de vie ici-bas n’a d’autre sens que d’être un long apprentissage de cette vie dans le Christ et en Église sous la conduite de l’Esprit Saint. Ne nous y trompons pas, il s’agit là de la porte étroite qui conduit à la vie, il n’y en a pas d’autres ! Jésus ne cesse de nous le redire : “Je suis le chemin, la vérité et la vie” (Jn 14, 6).
La fête de Toussaint est là pour nous le rappeler, elle nous donne de fêter tous les saints de nos familles, tous ces saints cachés, ces hommes et ces femmes qui, tout au long de leur vie, ont appris à vivre de la vie de Jésus, à vivre à sa manière, dans son amour, en lui. Bien sûr, comme nous tous, le péché les a habités, mais ils ont appris à faire l’expérience de la miséricorde divine qui sans cesse les renouvelait dans l’amour à la manière du Père qui serre dans ses bras divins l’enfant prodigue que nous sommes tous. Ils ont appris à se laisser habiter et conduire par l’Esprit Saint, car un saint, ce n’est pas un homme hors du commun, c’est plus simplement un homme qui a accepté de se laisser conduire par l’Esprit Saint. Progressivement, il est entré dans une intimité de vie avec lui, une véritable amitié est née entre eux. L’Esprit Saint a pu alors accomplir son œuvre d’amour en lui, il lui a appris à se livrer à son emprise pour vivre désormais en Christ. Il s’est dégagé de lui-même pour se lier d’amour avec le Christ. Désormais, il peut dire comme Jean Baptiste, il faut qu’il grandisse et que je diminue. Alors sa vie a pris tout son sens, se dégager de soi pour se recevoir du Père du ciel dans l’amour d’instant en instant, et il a découvert avec joie tous ses frères en Christ qui, comme lui, vivent en Christ et font Église ensemble au souffle de l’Esprit.
N’ayez pas peur en ces jours de Toussaint de tirer par la manche tous ceux de vos familles qui sont parmi ces saints cachés que nous fêtons et priez-les à leurs intentions à eux sur vous, car vivant désormais dans la plénitude de la vie, ils savent mieux que vous ce qui sera le meilleur pour vous et ils sauront mieux que vous vous indiquer le véritable chemin de vie.
+ Jean-Pierre Cattenoz
archevêque d’Avignon