Si nous regardons notre presbyterium, il se compose de prêtres venus du monde entier, il s’agit d’un presbyterium de pays de mission comme celui que j’ai connu autrefois au Tchad. Notre monde occidental traverse une crise profonde, et notre Église de France, qui autrefois envoyait des missionnaires dans le monde entier a aujourd’hui besoin de prêtres venant d’autres Églises.
Je tiens à remercier avec force et à rendre grâce pour tous les prêtres et diacres, originaires sinon de notre terre de Vaucluse, au moins de notre terre de France et qui forment le cœur de notre presbyterium et de notre clergé.
Je n’oserais pas chercher à établir une liste de tous les pays d’où viennent les prêtres, les religieux et les membres de communautés nouvelles à l’œuvre dans le diocèse, je voudrais simplement vous remercier tous en ce début d’année pour votre présence parmi nous. Vous n’avez pas pour mission pour la plupart à vous enraciner dans notre terre de Provence, vous êtes là pour un temps, en vue de nous aider à retrouver un vrai dynamisme missionnaire au sein de notre Église diocésaine.
Au-delà de cette constatation, l’enjeu est de faire Église ensemble dans une vraie communion fraternelle. Nous avons tous à œuvrer pour vivre au quotidien cette communion sacerdotale et ecclésiale.
Nos frères venus d’autres Églises se doivent de s’inculturer dans une manière de vivre souvent totalement différente de la leur. Même si beaucoup parlent la même langue que nous, cela peut faire illusion, le fossé culturel demeure et demande un humble effort de leur part pour entrer, même pour un temps, dans notre façon de vivre. Parallèlement, nous, clergé d’origine française, nous devons les y aider ; nous aurons à améliorer les conditions de leur arrivée et de leur installation dans une paroisse de chez nous. Une préparation devrait se mettre en place bien avant. Un accompagnement est également nécessaire pour leur permettre d’apprendre à vivre à la manière du clergé français : aménagement et tenue du presbytère, nourriture et cuisine, répartition des charges financières entre chaque prêtre, la paroisse, le diocèse - nous avons beaucoup de règles et il n’est pas toujours facile d’y voir clair -, relation avec les laïcs, avec les autorités, avec les différents services de l’État, sans oublier les règles de l’affectation qui relèvent d’une jungle souvent inextricable.
Cependant, au-delà même de cette première inculturation, il y a un travail en profondeur à accomplir ensemble pour redéfinir la mission aujourd’hui au cœur de notre Église, en fixer les objectifs. Ce travail correspond bien à celui que nous essayons de réaliser en Conseil presbytéral et en doyenné actuellement : comment nous approprier davantage tous et chacun, la lettre post-synodale “La joie de l’Évangile”. Il est important que ce travail soit l’œuvre de tous et que personne n’en reste à l’écart.
Toujours dans la même ligne de l’inculturation, nous avons à vivre un travail permanent de purification de notre foi de tous les éléments étrangers venant de notre culture. De la même manière, nous avons un travail permanent à opérer de purification de notre culture, à la lumière de la bonne nouvelle du Christ.
Pour trouver la communion et en vivre, nous avons à savoir prendre le temps de nous découvrir les uns les autres, à éviter de nous étiqueter les uns les autres, mais surtout à nous enrichir des talents de l’autre et des autres et à faire Église forts de nos différences. Je pense à la richesse que représente la théologie de l’Église famille de Dieu et des C.E.B. Communautés Ecclésiales de Base, mises en place dans bien des Églises africaines. Mais il faudrait citer la richesse des prêtres venus d’Amérique du Sud ou de l’Est de l’Europe. Que de merveilles pour nous enrichir les uns les autres ! Sans oublier nos frères d’Asie, Vietnamiens particulièrement, dont nous n’avons pas encore fini de découvrir toutes les qualités qu’ils peuvent apporter à notre Église.
Notre diocèse a connu une crise grave, il y a déjà quelques années, liée à tout un contexte ecclésial sur lequel je ne souhaite pas revenir. Durant l’année de la Miséricorde, nous avons vécu de beaux moments de réconciliation, nous avons vu la Miséricorde divine à l’œuvre. Cependant, dans bien des cœurs, la crise a laissé des blessures qui ne sont pas encore refermées ni cicatrisées. Nous avons vraiment tous à supplier l’Esprit d’Amour de nous aider à dépasser toutes les rancœurs pour aller de l’avant. Je souhaite que tous puissent de nouveau prendre leur place au cœur même de toute la vie de notre diocèse : récollection, retraite annuelle, journées de formation, journée de convivialité, réunion de doyenné, services diocésains.
Personnellement, je prie chaque jour pour cette communion au sein de notre presbyterium ; je demande au Seigneur de me convertir chaque jour pour que je puisse être davantage encore serviteur de cette communion. Sachez que je suis le premier à souffrir de toutes les forces de divisions qui peuvent encore déchirer notre Église.
Mon vœu essentiel est que tous, nous demandions à ″Notre-Dame de tout pouvoir″, la grâce de vivre à la manière de l’Église primitive, dans la fidélité à la Parole de Dieu, à la communion fraternelle, à la fraction du pain et à la prière.
Toute notre vie doit s’enraciner dans la Parole de Dieu qui doit nous habiter et nous faire vivre, qui doit illuminer nos vies et être source de notre unité. Prêtres et diacres, un jour, le Seigneur nous demandera compte de sa Parole : comment l’as-tu fait fructifier en toi et en ceux qui t’étaient confiés ? Prenons-nous autant de temps, chaque jour, pour lire la Parole de Dieu que nous en prenons pour regarder la télévision ? Dans chacune de nos paroisses, comment aider davantage les baptisés à se nourrir et à vivre de la Parole de Dieu ?
Nous savons combien la “communion fraternelle“ peut être un vain mot : elle ne va pas de soi ; elle ne peut être que mendiée à chaque eucharistie. Dans la communion eucharistique, nous communions au corps du Christ pour devenir, tous ensemble, son propre corps. Nous recevons la source même de cette communion fraternelle et nous nous engageons à faire Église avec tous nos frères les hommes appelés à entrer eux aussi dans l’Église corps du Christ. De plus, impossible d’être disciple de Jésus sans l’entendre nous dire : « C’est à l’amour que vous aurez les uns pour les autres qu’on vous reconnaîtra pour mes disciples ! » Prêtres et diacres, si vous cherchez un petit livre sur la charité, je vous conseille le manuscrit C de la petite Thérèse, je n’en connais pas de plus beau !
La fidélité à la « fraction du pain » est au cœur de nos vies sacerdotales et diaconales. Il est remarquable d’entendre Jésus dire à ses disciples fatigués par la mission : « Venez à l’écart et reposez-vous un peu. » Or il va, pour eux et pour la foule, dresser la table en plein désert, première annonce de l’eucharistie qui refait nos forces. L’eucharistie est la source et le sommet de tout notre ministère. Elle nous apprend à déployer dans nos vies la puissance de l’action de grâce et de la louange qui fait tomber toutes les chaînes et ouvre toutes nos prisons. Soyons tous des hommes d’émerveillement et développons dans nos paroisses une pédagogie de l’émerveillement. L’eucharistie est aussi mémorial et sacrifice : à chaque eucharistie, je participe à l’unique sacrifice de la Croix, je m’unis au Christ qui s’offre pour notre salut à tous. Il a pris sur lui le péché du monde, il a pris sur lui mon péché pour m’en délivrer par sa mort sur la Croix et au matin de Pâque, il m’entraîne avec lui dans la grande aventure pascale. De plus, au pied de la Croix, à chaque eucharistie, j’entends Jésus me dire : « Voici ta Mère ! » et comme le disciple bien-aimé, je comprends que désormais, impossible de vivre en Christ sans prendre Marie chez moi et de vivre avec elle à chaque instant : « Totus Tuus ! » Enfin au pied de la Croix, j’assiste au jaillissement de la Miséricorde divine, les torrents de l’Amour divin jaillissent pour redonner vie au monde, pour me redonner vie. Nous devrions être des amoureux de l’eucharistie qui nous projette, au cœur même de l’histoire du monde, à la source même de la réconciliation de l’homme avec lui-même, des hommes entre eux, des hommes avec la création et surtout des hommes avec Dieu. Je comprends pourquoi Mère Teresa a voulu que dans toutes les chapelles de ses sœurs soit inscrite une des dernières paroles de Jésus en Croix : « J’ai soif ! » Oui, il a soif de notre amour, il vient le mendier alors même qu’il porte notre péché. Alors, il se donne à nous, à moi, et me permet de dire avec Paul : « Ce n’est plus moi qui vis, c’est le Christ qui vit en moi ! » Enfin, impossible de ne pas terminer sur le mystère de la présence réelle : « Il est là ! Il est là ! Il est vraiment là ! » Jamais nous n’aurions imaginé un tel don qui lui permet de demeurer présent au milieu de nous.
La dernière fidélité de l’Église primitive est celle de la prière ou “des prières”. Prêtres et diacres, ministres du Seigneur, nous avons à être des hommes de prière, à enraciner nos vies dans la prière. Nous n’avons qu’une seule chose à donner à nos frères : celui qui nous habite, Jésus le Christ ! Chacun a à trouver sa forme personnelle de prière. Souvent, elle changera selon les périodes de sa vie. Mais attention, une vie où il n’y a pas de temps de prière silencieuse, d’oraison ou d’adoration, est une vie vide et creuse, même si elle résonne comme des cymbales. Comme autrefois la sainte famille de Nazareth, notre vie, à l’image de celle de Marie, nous permet de garder et de ruminer toutes ces paroles et ces événements, de vivre avec elle et avec saint Joseph un chemin de vie fait d’humilité, de pauvreté et de prière silencieuse. N’oublions pas également la liturgie des heures, elle nous unit à la prière de l’Église et à toutes ses intentions. Prêtres et diacres, si vous cherchez un petit livre sur la prière, je vous conseille le manuscrit B de la petite Thérèse, je n’en connais pas de plus beau !
Je souhaite aussi que nous soyons tous, comme nous le demande le pape François, des disciples missionnaires. Mais que personne ne s’effarouche ! Si l’expression est nouvelle, son fond est aussi neuf que l’Évangile. Quand Jésus a appelé, a “fabriqué” les douze, il les a faits « pour être avec lui ». Un disciple est quelqu’un qui est avec Jésus, qui vit et demeure en Lui. Ensuite vient la dimension missionnaire : « et il les envoya prêcher avec le pouvoir de chasser les démons ». En un mot, le pape François nous invite à vivre l’Évangile tout simplement.
En même temps, nous savons combien progressivement, nous nous habituons à vivre les choses les plus hautes comme si cela allait de soi. L’habitude risque toujours d’engendrer une certaine médiocrité et à la fin, nous ne faisons plus attention à ce que nous vivons. À ce titre, nous avons tous à nous remettre en cause sans cesse dans notre manière de vivre notre ministère et nous devrions pouvoir nous entraider sur ce chemin de conversion. Dans l’Église, ou nous devenons des saints ou bien nous devenons des médiocres.
Demandons pour cette année la grâce d’un vrai renouvellement dans notre grâce de prêtre et de diacre, pour la croissance de notre Église.
Je n’ai pas parlé dans cette lettre des laïcs, ce n’était pas mon propos puisque je m’adresse au clergé, mais je voudrais terminer en vous disant : l’enjeu de la mission est de permettre à tous les baptisés de retrouver, de faire grandir, de revitaliser, de déployer toutes les richesses de leur grâce baptismale. Le concile Vatican II nous avait rappelé que la grâce spécifique des laïcs est d’être présence du Christ dans le monde et non pas d’abord sacristain au service de monsieur le curé. Mais comment pourront-ils être cette présence vivifiante du Christ au cœur du monde, s’ils n’ont pas intégré que la grâce de l’initiation chrétienne les appelle « à devenir des saints, à trouver leur place dans le Corps du Christ et à être missionnaires, témoins du Christ partout et dans toute leur vie ». Comment seront-ils des saints sinon en se laissant conduire et habiter par l’Esprit Saint ? Comment trouveront-ils leur place dans le Corps du Christ, sinon en se nourrissant du corps du Christ et en déployant toutes les virtualités de leur vie baptismale ! Celle-ci, nourrie de l’eucharistie, les appelle à devenir toujours davantage des disciples-missionnaires par toute leur vie. Enfin, ils deviendront témoins du Christ si, en se laissant conduire par l’Esprit de Dieu, ils accueillent le témoignage du Christ, ils s’en imprègnent pour en vivre et enfin pour en témoigner. Ils devraient imiter le vieil apôtre Jean au moment où il écrit sa première lettre : « Ce qui était dès le commencement, ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu de nos yeux, ce que nous avons contemplé et que nos mains ont touché du Verbe de vie - car la vie s’est manifestée, et nous avons vu et nous rendons témoignage et nous vous annonçons la vie éternelle, qui était tournée vers le Père et s’est manifestée à nous - , ce que nous avons vu et entendu, nous vous l’annonçons, à vous aussi, afin que vous aussi vous soyez en communion avec nous. Et notre communion est communion avec le Père et avec son Fils Jésus Christ. Et nous vous écrivons cela pour que notre joie soit complète. »
Je vous souhaite à tous une bonne et sainte année, sous la conduite de l’Esprit Saint avec pour objectif d’être les serviteurs de ce projet d’Amour, qui n’est autre que ce feu que le Christ est venu allumer et il n’a de cesse que tout ne soit réalisé : en vivre soi-même et former les baptisés à être à leur tour ces flammes d’amour qui embraseront le monde.
Fanjeaux, le 31 décembre 2016,
en la vigile de la fête de Marie Mère de Dieu et Mère de l’Église
+ Jean-Pierre Cattenoz
archevêque d’Avignon