Lors de l’Assemblée constituante au début du 19ème siècle, le projet de Constitution comportait bien sûr un article sur le mariage. Un député demanda s’il ne vaudrait pas mieux préciser la nature du mariage et ajouter « le mariage est l’union d’un homme et d’une femme ». Il y eut des éclats de rire dans les gradins de l’Assemblée constituante car pour tous les députés la chose allait de soi.
Aujourd’hui, le législateur doit se prononcer sur un projet de loi de mariage pour tous faisant droit à une proposition inscrite dans le « programme Hollande ». Ce projet touche au fondement même de la société et risque d’être bâclé en quelques mois sans que les enjeux d’un tel changement à tous les étages de la société aient été mesurés.
Une telle précipitation paraît bien étrange ; le législateur semble habité par le désir d’aller vite, les auditions destinées à éclairer les députés et les sénateurs apparaissent comme des caricatures par leur partialité, les opposants sont catalogués et leur parole est d’emblée rejetée bruyamment au nom de leur appartenance à tel ou tel groupe. Les politiques mettront leur point d’honneur à en finir moins d’un an après les élections présidentielles. En réalité, de deux choses l’une : soit ils ont peur, en ouvrant un vrai débat de société, de voir leur projet rejeté, soit - mais je n’ose l’imaginer – des personnes bien en cour exigent du politique un engagement ferme pour réaliser leur désir d’un mariage ouvert aux personnes homosexuelles, LGBT selon les sigles en vogue dans les médias.
Je ne porte aucun jugement sur les personnes quelles qu’elles soient, mais je voudrais essayer de réfléchir avec bon sens sur les tenants et les aboutissants de ce projet qui provoque un tremblement de terre, un tsunami qui fait descendre les foules dans les rues.
Ce projet dit vouloir lutter de façon démocratique contre toute forme de discrimination et d’injustice liée à la réalité sexuelle de l’homme et de la femme. L’idée est tout à fait respectable. Il convient de dénoncer, de lutter contre tout ce qui maintient les femmes dans un état insupportable d’infériorité par rapport à l’homme. A ce niveau là, nous devons tous lutter contre le relent de machisme qui pollue le cœur de l’homme et le rend insupportable. Il convient également de s’élever avec force contre tout comportement homophobe.
Mais à partir de prémices tout à fait justes, le projet dérape en attribuant ces discriminations et ces injustices à la réalité sexuelle de l’homme et de la femme. Naître homme ou femme rendrait immédiatement prisonnier d’une catégorie sociale avec tous les préjugés et tous les fantasmes liés à celle-ci : les petites filles jouent à la poupée, les garçons aux petites voitures ; les hommes travaillent, les femmes restent à la maison ; et le catalogue est long de ces préjugés, de ces clichés, de ces étiquettes placardées dans le dos des gens en raison même de leur sexe de naissance.
Il faudrait donc dénoncer avec force cette construction culturelle liée à notre société occidentale et à ses racines judéo-chrétiennes. En réalité, on ne naîtrait pas homme ou femme, on le deviendrait et aucune société n’aurait le droit de m’imposer d’être homme parce que j’ai un sexe masculin ou femme parce que je suis née avec un sexe féminin. L’hétérosexualité serait même une des grandes discriminations de notre histoire. Voilà la grande lumière susceptible de nous libérer de toute discrimination entre homme et femme et de nous rendre enfin égaux !
L’affirmation « Je ne nais pas homme ou femme, je le deviens » est un leurre qui relève d’une idéologie ancrée dans un subjectivisme, un relativisme absolu rejetant toute réalité objective de notre être personnel sexué.
Je voudrais reprendre cette première affirmation : « je ne nais pas homme ou femme, je le deviens ». Cette affirmation paraît bien étrange car ma sexualité fait partie de mon être homme ou femme, de l’utérus au sépulcre. Dès le départ, un fœtus est un être sexué ; tout au long de sa gestation dans le sein maternel, son être homme ou femme se développera. Au jour de sa naissance, le bébé est garçon ou fille et sa sexualité est inscrite dans son humanité et en devient une dimension indissociable.
Bien évidemment, cette dimension sexuelle de l’homme et de la femme se développera de manière très complexe de la petite enfance jusqu’à l’âge adulte. Cependant, je suis bien obligé de le reconnaître : le corps de l’homme est différent de celui de la femme et ils connaîtront une évolution différente car la sexualité est partie intégrante de toutes mes cellules au plan biologique et morphologique, et modèle jusqu’à mon corps. Elle devra s’intégrer également dans l’ensemble des grandes dimensions de notre humanité : la sensibilité, l’affectivité, l’imagination d’un garçon ne sont pas celles d’une fille. L’intelligence féminine ne fonctionne pas de la même manière que l’intelligence masculine ; de même, la volonté de l’homme et celle de la femme ont des fonctionnements différents. La sexualité marque profondément l’être et l’agir de toute personne et participe à la mise en place de sa personnalité dans toutes ses dimensions.
Comment affirmer que la dimension sexuelle de notre personne serait seulement le fruit d’une culture et d’une histoire ? Comment affirmer que chacun reste libre de choisir la dimension sexuelle de sa personne en fonction de ses désirs personnels ou de son histoire ? De telles affirmations ne peuvent tenir devant la force de la réalité.
Tous les spécialistes de pédiatrie, tous les médecins, les psychiatres, les psychanalystes, les psychologues, les sociologues, tous les spécialistes des sciences qui travaillent sur le terreau humain mettent chaque jour davantage en lumière l’interactivité de toutes les dimensions de notre personnalité, interactivité inscrite dans le don que mes parents m’ont fait en me donnant la vie. Certes, je vais devoir me construire pour devenir pleinement homme ou femme et je traverserai certainement des périodes difficiles qui sont de mieux en mieux connues, mais je ne saurais en aucun cas nier le donné génétique, humain et spirituel inscrit dans ma personnalité d’homme ou de femme.
J’aurai beau vouloir accéder à la chirurgie pour changer de sexe et devenir autre, je ne le deviendrai pas pour autant. De même, aucune psychanalyse ou psychothérapie ne saurait me permettre de changer de sexe pour devenir l’autre que je souhaite devenir ; il y a là un leurre, une utopie qui relève d’une idéologie ancrée dans un subjectivisme et relativisme absolu qui rejette toute réalité objective de notre être sexué.
La sexualité pénètre toute ma personne et je me dois de l’assumer pour épanouir ma personnalité. Il y aura des stades à franchir, une croissance à vivre pour enrichir toute ma personnalité de cette dimension sexuelle de mon être. Alors j’apprendrai combien je ne suis pas fait pour être seul mais pour m’ouvrir à une autre personne, sexuée elle aussi mais complémentaire de ma propre personne. La sexualité est une chance pour moi, un élément formidable qui me permet de m’enrichir de l’autre et d’enrichir l’autre pour que chacun de nous soit pleinement lui-même. M’ouvrir à l’autre, découvrir combien j’ai besoin de l’autre différent de moi pour devenir pleinement homme et pleinement moi-même ; je ne serai pleinement épanoui qu’en entrant dans une unité faite de dualité, une unité de communion.
Chacun serait libre d’endosser la sexualité qui lui convient, et libre d’en changer.
Ce principe n’est autre que le développement extrême du précédent et peut se formuler de diverses manières : chaque individu est libre de choisir ses orientations sexuelles au gré de ses envies et de ses choix ; rien n’est définitif en ce domaine et tout est possible. Nous entrons alors dans un individualisme à tout crin et un relativisme absolu. Aujourd’hui, je serai Monsieur, demain je serai Mademoiselle, à moi de choisir et les autres n’auront qu’à s’incliner et à respecter mes choix personnels.
Le but ultime est de faire disparaître toute différence entre l’homme et la femme, considérée comme une inégalité intolérable, pour parvenir à une totale égalité. Certes, nous devons tous lutter contre toutes les inégalités et ségrégations liées à la culture et à l’histoire, pour que toute personne humaine soit respectée dans son être le plus profond. Il est vrai que nous avons encore beaucoup à faire en ce domaine dans la vie sociale, la vie familiale, la vie professionnelle, la vie politique aussi. Nous devons tous conjuguer nos forces pour y arriver.
Mais vouloir à tout prix une égalité totale conçue comme une identité entre l’homme et la femme, entre toutes les personnes humaines, en refusant a priori jusqu’à l’idée de la différence est une aberration. Car la différence ne relève pas d’une inégalité mais est source d’une complémentarité susceptible d’enrichir les personnes et de les épanouir. Cette complémentarité dans la différence est d’ailleurs une des grandes réalités de notre monde. Nous avons tous besoin les uns des autres et nous sommes dépendants les uns des autres jusque dans les moindres réalités de la vie quotidienne. En même temps, de fait, les êtres humains ne naissent pas égaux au regard de la vie et justement un des rôles de la société sera de compenser ces inégalités pour permettre à tous de devenir pleinement personne humaine au cœur de la société.
Pourquoi vouloir gommer toute différence ? Il y a eu la mode « unisexe », nous en sommes sortis ; nous avons eu la période du subjectivisme philosophique : le monde n’existe que par l’idée que je m’en fais ; mais si, en voiture, je rentre dans un arbre, celui-ci existe bien en dehors de l’idée que je m’en fais. Là encore, cette idéologie philosophique a fait long feu au nom même du bon sens de l’homme. Mais elle a laissé des traces dans un relativisme universel qui n’est pas d’aujourd’hui, puisqu’il a été formulé par le sophiste grec Protagoras : « L’homme est la mesure de toute chose. Telles les choses m’apparaissent, telles elles sont. Telles les choses t’apparaissent, telles elles sont. » Arrivera-t-on à en sortir ?
Aujourd’hui, l’utopie de l’égalité s’empare de la dimension sexuelle de notre humanité. Toute différence doit disparaître, être gommée.
Les féministes les plus échevelées ont déjà une nouvelle version du Meilleur des mondes d’Aldous Huxley, où la recherche scientifique travaillerait dans un immense consortium à mettre au point une machine susceptible de recevoir d’un côté un ovule, de l’autre des spermatozoïdes et d’assurer la gestation d’un nouvel être humain qui serait disponible neuf mois plus tard pour les heureux parents. Alors, tout devient possible. Les femmes ne sont plus tenues par des grossesses interminables et souvent difficiles ; il n’y a plus besoin de congés de maternité, et donc l’égalité peut entrer dans le travail et dans les entreprises. Il reste cependant la question du petit enfant : qui s’occupera de lui ? Là encore, les dignes successeurs d’Aldous Huxley sauront bien inventer pour nous des élevages pour nouveau-nés, où ceux-ci seront dans de bien meilleures conditions de vie qu’à la maison, alors que maman ne sait pas encore comment faire pour nourrir son bébé, le changer, le calmer et que papa n’a aucune idée de la manière dont on tient un enfant dans ses bras, maladroit comme il est.
Tout ceci n’est que caricature et pourtant, le but affiché par le législateur, même s’il s’en défend, est d’abolir le modèle familial existant et par là même l’anthropologie qui en est à la source. Elle a pourtant fait ses preuves depuis des millénaires. Mais puisque le changement est inscrit dans le programme du « candidat » président et livré maintenant au vote du « peuple souverain », nous n’aurions plus qu’à nous incliner et surtout à ne pas réfléchir aux conséquences dramatiques de cette précipitation liée au désir d’une minorité.
Que devient l’enfant au milieu de toutes ces théories ?
Si le mariage s’ouvre aux personnes homosexuelles, il s’agit là d’une union tout-à-fait spécifique, car elle ne peut pas d’elle-même ouvrir au don à la vie sauf à faire intervenir une tierce personne.
Dans ce cas, l’enfant est condamné à avoir deux pères ou deux mères dont un seul aura avec lui un lien réel génétique de paternité ou de maternité, l’autre conjoint ayant toujours la possibilité de l’adopter légalement pour devenir son parent éducateur. L’enfant aura par ailleurs et nécessairement un deuxième parent, un papa ou une maman qui sera son véritable parent biologique. Si l’enfant cherche à connaître ses parents biologiques - et toute personne humaine a le droit de connaître ses géniteurs – alors, dans ce cas, il aura trois parents si mes calculs sont bons.
Lorsque j’étais enfant, j’aimais tourner les pages des albums de photos et regarder mes parents quand ils étaient enfants, mes grands-parents, mes arrière-grands-parents dont l’accoutrement me faisait toujours sourire. De tels mariages homosexuels dénient à l’enfant le droit d’avoir une généalogie s’enracinant dans l’amour d’un père et d’une mère qui, dans leur amour, se sont unis pour donner la vie. Il n’y aura plus de livret de famille puisque la famille n’existera plus. Il y aura un livret d’identité personnel, chacun n’étant plus qu’un individu isolé.
En allant plus loin encore, pour avoir droit à l’enfant, deux papas devront faire appel à une mère porteuse qui n’aura bien sûr aucun droit sur l’enfant dès sa naissance, mais sera priée de le rendre à ses propriétaires. Je ne voudrais pas être à la place d’un de ces enfants qui aura été aimé par une femme pendant neuf mois, aura tissé des liens si intimes avec elle que, spontanément à sa naissance, il la reconnaîtra pour sa mère, mais devra malheureusement vivre dès sa naissance le deuil d’une mère, pour entrer dans un couple où il sera condamné à être élevé par deux pères. Je dis bien condamné car tous les éducateurs le savent : un enfant a besoin d’un père et d’une mère pour pouvoir grandir, profitant de la complémentarité de l’un et de l’autre pour marcher vers son être d’adulte. Parmi tous les enfants que j’ai connus et accompagnés durant de nombreux camps de jeunes, quelques heures après le début du camp, je pouvais identifier celui ou celle qui malheureusement était élevé par un parent seul. Quoi qu’en pensent les partisans du mariage homosexuel, je leur laisse le soin de me démontrer qu’une présence masculine et une présence féminine ne sont pas absolument nécessaires pour l’épanouissement d’un enfant. Mais surtout qu’ils ne s’appuient pas sur le fait qu’ils connaissent des enfants qui ont leurs deux parents - père et mère - et qui sont très mal élevés car cela ne prouve rien.
En revanche, s’il n’y avait pas cette précipitation à faire voter ce projet par le « peuple souverain », nous aurions pu réfléchir à l’impact sur la société d’une telle évolution, si tant est qu’il s’agisse d’une évolution et non d’une régression. Ce projet de loi me fait l’effet d’un médicament dangereux susceptible d’empoisonner notre société toute entière, mais dont un petit groupe, lobby puissant, a décidé la mise sur le marché sans aucune expérimentation préalable ni recherche sur les conséquences de son utilisation. Les résultats ne se feront pas attendre : les notaires, les avocats, les juges, les médecins, les pédiatres, les psychiatres, les éducateurs ne sauront plus où donner de la tête, face à un imbroglio indescriptible voulu dans la précipitation, au nom de la proposition d’un « candidat » président qui veut la faire voter tambour battant par le « peuple souverain ».
Le droit à l’enfant ou le droit de l’enfant ?
J’avais appris qu’au vingtième siècle, la mise en place, non seulement des droits de l’homme mais aussi des droits de l’enfant, était un progrès de la société. Le vingt-et-unième siècle sera-t-il le siècle de la régression qui verra le droit à l’enfant se substituer aux droits des enfants ? Mais cela n’a peut-être aucune importance puisqu’un enfant n’est pas encore en mesure de faire appel à ses droits…
Je reviens à l’enfant : il développe une multitude de liens charnels, corporels, biologiques, affectifs avec sa mère et son père, et cela dès sa conception ; tous les spécialistes s’émerveillent devant ces liens qui se tissent dès le sein de la mère entre le fœtus et ses parents, ses frères et sœurs, son environnement humain. Mais voilà, il est décidé que cela n’a pas d’importance. L’enfant devra désormais, dans le cas d’un couple homosexuel, se contenter d’un papa ou d’une maman et sera privé de l’amour qui s’enracine dans l’union des corps et dans la joie de voir l’amour des époux s’épanouir dans le don de la vie. Un papa ou une maman, c’est tout ; l’autre parent, pourtant nécessaire au don de la vie se verra relégué au titre d’instrument indispensable mais secondaire pour permettre d’avoir droit à l’enfant.
Ce projet apparaît plein de chausse-trappes, de pièges dont personne parmi les protagonistes ne cherche à percevoir les dégâts qu’ils entraîneront dans la société. Il est vrai que la société a un fonctionnement étrange dans bien des domaines. Elle ne cesse, par exemple, de clamer que le divorce n’est pas un problème et qu’il peut se vivre à l’amiable sans difficulté, mais parallèlement, les juges pour enfants nous disent que leurs cabinets sont remplis d’enfants du divorce. De même, bien des gens disent : mes enfants n’ont pas souffert de notre divorce. Mais parallèlement il faudrait ouvrir partout des cabinets de psychologues pour recevoir tous les jeunes mal dans leur peau.
Prenons le cas des mères porteuses. N’ayez pas peur, nous y allons tout droit au nom du « peuple souverain » ! Mais quelles séquelles laisseront dans le cœur du nouveau-né le fait d’être abandonné par sa mère dès sa naissance ? Cet abandon, il le portera toute sa vie. Par ailleurs, si un jour la mère souhaite retrouver ou reprendre l’enfant, ou si l’enfant souhaite retrouver sa mère porteuse, ils n’auront aucun droit de le faire. De plus, qu’en sera-t-il du « travail » que représente cette grossesse assumée pour autrui, sera-t-elle rémunérée et à quel tarif ?
En réalité, aujourd’hui, personne n’est en mesure d’entrevoir les conséquences à moyen terme et à long terme d’un tel changement de société. Le principe de précaution que beaucoup souhaitent voir appliqué au maïs transgénique, ne devrait-il pas s’appliquer bien davantage aux enfants qui n’auront plus droit à une généalogie, qui répondront seulement au droit à l’enfant exigé par ceux ou celles qui en appellent au mariage pour tous. Alors que ceux-ci ne peuvent voir leur amour déboucher de lui-même sur le don de la vie, une dimension inhérente à la réalité de l’amour qui devient sinon un plaisir égoïste.
Ces quelques réflexions qui relèvent du simple bon sens n’ont pour but que de lancer un cri d’alarme devant les conséquences incalculables d’un projet de loi que certains veulent voir voter dans la précipitation. Pourquoi ne pas prendre le temps d’une vraie réflexion sur les enjeux réels d’un tel choix de société ? Devant les réactions arrivant de partout, devant les interrogations de nombreux scientifiques, de nombreux spécialistes engagés au service de la vie conjugale, familiale et infantile, nos politiques sortiraient grandis s’ils acceptaient au nom du principe de précaution de surseoir à un vote dans l’urgence et la précipitation, pour ouvrir un vrai débat de société en prenant le temps nécessaire pour y voir clair avant toute décision.
Au nom même de ce débat de société, il est de mon devoir en tant qu’évêque de l’Église catholique et archevêque d’Avignon d’apporter aux chrétiens et aux hommes de bonne volonté de mon diocèse un éclairage sur les enjeux réels de ce projet de loi. Je rappelle une fois encore que je ne porte aucun jugement sur les personnes, car Dieu seul juge le cœur de l’homme. En revanche, j’ai le droit et le devoir d’apporter la lumière de l’Église sur ce débat.
L’Église ne peut se taire, nous sommes tous concernés - et pas seulement les personnes homosexuelles - par ce projet de mariage pour tous. L’Église se doit d’interpeller non seulement les politiques mais tous les hommes de bonne volonté. Ce débat est un débat de société qu’il ne faudrait pas réduire à un conflit entre progressistes et réactionnaires, entre religieux et politiques, ou pire encore entre tolérants et homophobes. L’enjeu est anthropologique et concerne tous les hommes. Au-delà même du mariage, l’enjeu est la conception même de l’être humain car, comme le rappelait Benoît XVI, « Aujourd’hui, la question sociale est devenue une question anthropologique » (Caritas in veritate, n°75).
La question posée est de savoir sur quelle anthropologie sera fondée la société de demain. En effet, le projet de loi est comme une valise à double fond : derrière lui se profile une nouvelle anthropologie et un nouveau type de société. L’homme et la femme ne seraient plus marqués par leur sexualité dans leur être le plus profond, mais chacun serait libre de choisir la dimension sexuelle de sa personne au gré de ses désirs ou de son histoire. L’identité sexuelle serait remplacée par une orientation sexuelle pouvant varier au gré de la volonté de chacun et selon les saisons de sa vie. De manière insidieuse, cette théorie s’insinue et s’impose déjà dans nos écoles et dans les médias comme une sorte d’évidence. Les institutions internationales orchestrent la mise en œuvre de cette idéologie appelée « la théorie du genre » : pour ne citer qu’un exemple, les organismes humanitaires internationaux sont invités aujourd’hui à signer une charte auprès des Nations Unies, charte dans laquelle est intégrée la théorie du genre ; les organismes qui refuseront de la signer n’auront plus accès aux financements internationaux dès 2014.
Ainsi, sans le dire, cette idéologie prétend s’imposer à tous et par là transformer les fondements mêmes de notre société. Si une telle loi devait être adoptée, la famille fondée naturellement sur le mariage d’un homme et d’une femme ne serait plus qu’un cas de figure parmi d’autres, elle ne bénéficierait plus d’un statut spécifique.
Cela n’est pas possible ! L’union d’un homme et d’une femme a toujours été la base du lien social dans toutes les civilisations ; il s’agit d’un principe universel qui traverse tous les âges et toutes les cultures, le mariage est l’institution qui assure la succession des générations : autour de la cellule conjugale et familiale s’organise la communauté des ascendants et des descendants au sein de toute société. Or, aucune union homosexuelle ne saurait prétendre à l’édification du lien social, un couple de même sexe ne saurait se reproduire. Le mariage homosexuel marquerait une rupture de civilisation.
Un tel choix de société serait non seulement un nouveau coup dur pour la famille, premier et fondamental lieu d’intégration sociale pour l’enfant, mais il marquerait sa fin. Ni Athènes, ni Rome en pleine décadence n’ont osé imaginer le mariage homosexuel, la famille, la lignée avait trop d’importance pour elles.
A cela s’ajoutera la légalisation de l’adoption et le recours aux techniques de procréation médicalement assistée, et c’en sera fini de la définition même du lien familial et de la réalité anthropologique de la personne humaine.
Les premières victimes en seront les enfants à plus d’un titre. Le projet de loi est profondément discriminatoire et injuste envers les enfants, car il y aura ceux qui auront la chance de grandir dans une famille, entourés par un père et une mère, et les autres qui n’auront pas eu cette chance. Quoiqu’on en dise, un enfant est et restera toujours issu d’un homme et d’une femme. Les faits sont là. Le nier relève d’une conception idéologique, irréaliste et égoïste de la réalité. La loi pourra tenter de modifier ces réalités, elle ne parviendra qu’à provoquer un immense gâchis, et sans doute encore plus de discrimination.
La démocratie ne peut décider de tout
Le plus étonnant est de voir le pouvoir public prêt à faire toutes les concessions demandées par quelques lobbies, et en même temps négliger de mesurer les effets secondaires de telles décisions sur l’ensemble de la société.
Il est intéressant, sur cette question, de relire aujourd’hui les propos de Madame Élisabeth Guigou Garde des Sceaux à l’époque de la mise en place du PACS puis ceux de Monseigneur Tony Anatrella éclairant la portée des décisions prises à l’époque.
En 1998, Madame le Garde des Sceaux écrivait :
« Pourquoi avoir dissocié le pacte civil de solidarité de la famille ? Une famille ce n’est pas simplement deux individus qui contractent pour organiser leur vie commune. C’est l’articulation et l’institutionnalisation de la différence des sexes. C’est la construction des rapports entre les générations qui nous précèdent et celles qui vont nous suivre. C’est aussi la promesse et la venue de l’enfant, lequel nous inscrit dans une histoire qui n’a pas commencé avec nous et ne se terminera pas avec nous. »
De son côté, Monseigneur Anatrella écrivait en 2003 dans une note rédigée à la demande de Monseigneur Stanislas Lalanne, à l’époque Secrétaire Général de la Conférence des Évêques de France, et destinée à être adressée à tous les évêques à la suite de la publication du texte de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi sur « La reconnaissance juridique des unions homosexuelles » (Note publiée, une première fois, dans la Documentation Catholique en septembre 2003 sous la signature de Monseigneur Tony Anatrella puis reprise dans le « Lexique du Conseil Pontifical pour la Famille » pp. 634 et 635. Édition Librairie Vaticane et Téqui.) :
« Toute société reste soumise à des lois naturelles, à des invariants humains, ou alors nous entrons dans un système idéologique et totalitaire. La démocratie ne peut décider de tout. Il est impensable de remettre en cause des réalités aussi fondamentales pour prendre en compte le mal-être d’un groupe minoritaire ou par démagogie et calcul politique. »
« On a ainsi davantage le sens du résultat des élections à venir et de son maintien au pouvoir, que le sens du bien commun qui doit transcender le législateur. Or celui-ci ne doit pas se contenter de chercher à légitimer les mœurs d’une époque changeante et instable mais doit tout faire pour chercher principalement ce qui permet à la société de tenir et de traverser le temps en s’inspirant des valeurs de la vie. […] Il serait hasardeux de laisser croire que ce sont les mœurs qui font la loi » ;
« Ainsi l’homosexualité n’est pas source de droits. Ce sont les personnes qui sont sujets de droits et de devoirs. Les droits du mariage et de l’adoption d’enfants ne sont possibles que si l’on se trouve en situation de les honorer et de les assumer. Tel n’est pas le cas des personnes homosexuelles. Le mariage ne peut pas être instrumentalisé pour justifier socialement l’homosexualité. Il ne peut y avoir d’égalité entre un couple formé par un homme et une femme et une relation entre personne de même sexe. Autrement dit, l’homosexualité n’a aucune valeur au plan social et ne peut pas servir de référence pour éduquer les enfants. On ne peut traiter l’homosexualité sur le plan social de la même manière que sur le plan individuel ».
Ne galvaudons pas la beauté de l’amour qui unit l’homme et la femme
Pour lutter contre toutes les discriminations ou inégalités liées à la différence sexuelle dans nos cultures, un courant philosophique voudrait minimiser les différences sexuelles au profit des dimensions purement culturelles considérées comme primordiales. Une telle anthropologie entend favoriser une visée égalitaire de l’homme et de la femme, libérée de tout déterminisme biologique. Elle promeut entre autres la mise en question de la famille - naturellement biparentale - c’est-à-dire composée d’un père et d’une mère. Elle cherche à mettre sur le même plan l’homosexualité et l’hétérosexualité, en vue de promouvoir une sexualité polymorphe.
Ce courant s’enracine dans le désir de libérer la personne humaine de tout conditionnement biologique : la nature humaine n’aurait pas en elle-même des caractéristiques qui s’imposeraient de manière absolue. Chaque personne, libre de toute prédétermination liée à sa constitution essentielle, pourrait et devrait se déterminer selon son bon vouloir.
Pourtant, dès son origine, l’humanité est articulée par la relation entre le masculin et le féminin, une réalité relationnelle essentielle, appelée à déboucher sur une communion interpersonnelle dans l’amour. La sexualité caractérise l’homme et la femme, non seulement sur le plan physique, mais aussi sur le plan psychologique et spirituel marquant chacune de leurs expressions. La sexualité ne peut être réduite à une simple donnée biologique insignifiante. Elle est au contraire une composante fondamentale de la personnalité, une de ses façons d’exister, de se manifester, de communiquer avec les autres, de ressentir, d’exprimer et de vivre l’amour humain.
Ainsi, le corps humain, marqué du sceau de la masculinité ou de la féminité, est capable d’exprimer l’amour, un amour par lequel les deux époux, dans leur altérité, se donnent l’un à l’autre et trouvent leur épanouissement dans ce don. Dans l’unité des deux, l’homme et la femme sont appelés non seulement à exister l’un à côté de l’autre, mais l’un pour l’autre dans un don mutuel et dans une communion interpersonnelle appelée à se donner, à se communiquer dans le don de la vie et dans le rayonnement de l’amour de leur couple, dans leur foyer, dans leurs enfants et dans la société où ils sont appelés à demeurer foyer d’amour.
Avignon, le 31 décembre 2012
+ Jean-Pierre Cattenoz
archevêque d’Avignon