L’eucharistie est au cour de toute vie chrétienne : impossible d’être vraiment chrétien sans se nourrir de l’eucharistie. L’expression trop souvent entendue - “Je suis chrétien mais non pratiquant” - n’est pas vraie car je ne peux grandir dans ma vie de chrétien sans vivre de l’eucharistie. A partir de la prière eucharistique, nous pouvons pressentir l’importance de l’eucharistie comme une tâche à accomplir et à vivre dans chacune de nos vies.
1. Le dynamisme de la prière eucharistique
Une étude, même brève de la prière eucharistique permet de saisir le dynamisme eucharistique :
– Dans un premier temps, à travers la préface, l’Église rend grâce à Dieu pour le don de son Fils, “Dieu a tant aimé le monde qu’il lui a donné son Fils”, il a pris chair de la Vierge Marie, est mort et est ressuscité...
– Dans un second temps qui va de l’épiclèse sur les offrandes à l’anamnèse, l’Église rend grâce à Dieu pour le don qui nous est fait aujourd’hui du corps du Christ sous mode sacramentel.
Et au moment où elle le reçoit, l’Église l’offre à travers l’anamnèse : “Faisant mémoire de la mort et de la Résurrection de ton Fils, nous t’offrons, Seigneur, le pain de la vie et la coupe du salut”. Véritable paradoxe ! Alors que toute la prière eucharistique vise à la réception actuelle par l’Église du corps sacramentel du Christ, celle-ci, au lieu de se l’approprier, ouvre les mains pour l’offrir, signifiant par là que le don de Dieu ne peut être reçu qu’en l’offrant, on ne peut se l’approprier qu’en s’en désappropriant. A travers cet acte d’offrande, l’Église nous dit symboliquement ce que nous allons devoir vivre par delà la réception du corps du Christ, l’offrande existentielle de notre vie devenue corps ecclésial du Christ. Notre vie ne pourra plus être qu’une vie offerte, donnée “par, avec, et dans” le Christ.
– Dans un troisième temps enfin, l’Église demande au Seigneur que l’Esprit Saint vienne sur l’assemblée pour qu’elle devienne, par sa participation au corps eucharistique le corps ecclésial du Christ. L’épiclèse de communion de la troisième prière eucharistique l’exprime admirablement : “Regarde, Seigneur le sacrifice de ton Église, et daigne y reconnaître celui de ton Fils qui nous a rétablis dans ton alliance ; quand nous serons nourris de son corps et de son sang et remplis de l’Esprit Saint, accorde-nous d’être un seul corps et un seul esprit dans le Christ”. Le sacrifice du Christ se livrant par amour pour Dieu et pour les hommes dans un don total de lui-même, doit devenir le sacrifice du Christ total, c’est-à-dire de l’Église et donc de chacun de nous en tant que membre de son Corps.
2. L’eucharistie, une tâche à accomplir
L’eucharistie que nous célébrons et le corps du Christ que nous recevons seraient sans fécondité, s’ils n’enjoignaient au chrétien, selon la formule d’Augustin, de devenir ce qu’ils reçoivent. Ils reçoivent le corps sacramentel du Christ pour devenir son corps ecclésial dans et pour le monde. La réception de l’eucharistie débouche sur une tâche à accomplir.
Cette tâche est de donner au Christ ressuscité un corps d’humanité et d’histoire qui maintienne vivante sa présence et sa Pâque. Le terme de l’eucharistie est cette communion vécue dans l’amour de charité, le don de soi et l’unité, non seulement au sein de l’Église, mais dans le corps du Christ en devenir que constitue l’humanité tout entière, c’est cela devenir un seul corps.
C’est une tâche à accomplir dans le quotidien de nos vies, comme une réponse au don de Dieu. Et nous avons à la vivre dans les réalités concrètes de la vie, non pas au delà des ambiguïtés de notre monde, mais au sein même de ces ambiguïtés, dans tout ce qui relève de la Justice, du partage, du pardon, de la communion, et cela aussi bien au niveau collectif des rapports sociaux, politiques et économiques ou culturels entre les nations ou les races qu’au niveau des relations interpersonnelles. C’est dire l’importance de l’eucharistie pour la vie du monde.
3. Le rapport de l’eucharistie à la vie dans la 1re lettre au Corinthiens chapitre 11
Ce rapport intrinsèque entre l’eucharistie et la vie est clairement énoncé par Paul dans la première lettre aux Corinthiens. Devant tout les excès auxquels donnent lieu les repas de la communauté - “l’un a faim tandis que l’autre est ivre”, Paul ne réagit pas, comme on s’y attendrait, par un appel à une vie morale plus digne, mais par un argument sacramentaire. Il leur dit en quelque sorte : “Vous êtes en pleine contradiction, vous recevez le corps du Seigneur, sans devenir son corps ecclésial et donc sans adopter un comportement de partage et de communion conforme au corps ecclésial”. Paul dénonce une communion sans fécondité, où le rapport du corps eucharistique au corps ecclésial n’est ni perçu, ni vécu.
La réception du corps eucharistique requiert de vivre de la réalité même du corps mystique que nous devenons pour donner au Christ à travers l’Église son corps d’humanité “en croissance jusqu’à la plénitude de sa taille adulte” (Ep 4, 13). Ce n’est plus moi qui vis, c’est le Christ, livré, donné, qui vit en moi, et ma vie doit être en conformité avec ce que je suis devenu par la communion. Sans cela, l’eucharistie, pour valide qu’elle soit, serait sans fécondité : communier serait non seulement d’aucun profit, mais serait plutôt se méprendre sur le don de Dieu et même “manger et boire sa propre condamnation” (1 Co 11, 29).
+ Jean-Pierre Cattenoz
Juin 2004