Le sang coule au pays du calife, les ténèbres couvrent la terre, le prince de ce monde – le Démon, le Satan, le Père du mensonge - se réjouit, il ricane. Les explosions se succèdent sur la terre d’Irak, de Syrie et jusque dans la terre sainte, en Judée et au pays de Gaza. Il est venu le temps des larmes. Une coalition prétend bien faire plier le calife. Pendant ce temps, les chrétiens fuient, errants comme d’autres minorités d’une terre à l’autre, rejetés par tous et pourtant, ils le savent bien : jamais la guerre n’a engendré la paix, la vraie Paix, celle qui enfin nous donnera la Lumière.
Pourtant, à Bethléem en Judée, des bergers sont là pour en témoigner : il y a deux mille ans, dans cette terre sainte, les anges ont annoncé la Paix, Paix aux hommes que Dieu aime, car il nous aime tous ! Il aime le calife et ses troupes, il aime les musulmans, les chrétiens, les juifs, les athées comme les libres penseurs. Il nous aime d’un amour de miséricorde. Il s’agit même d’un des noms de Dieu qui nous est commun à tous : « Dieu le Miséricordieux ». Son cœur divin est bouleversé devant notre misère, devant toutes les blessures que nous nous infligeons les uns aux autres. Sa réaction n’est que surabondance d’amour ! Il ne peut accepter de nous voir blessés, défigurés par tous les conflits qui nous déchirent. Alors, il continue à nous murmurer à tous : « J’ai soif ! J’ai soif de ton amour ! Laisse-toi aimer ».
Comme preuve de son amour, il s’est fait petit enfant, enveloppé de langes et couché dans une crèche, dans cette terre sainte déchirée par les guerres et les haines fratricides, petit enfant sans défense, car l’amour est toujours vulnérable. Comme autrefois le roi Hérode, tous les princes de ce monde sont prêts à tout pour le mettre à mort, mais aucun calife au monde ne pourra faire mourir le Prince de la Vie. Celui-ci continue à nous tendre les mains, ses petites mains d’enfant, il nous invite à devenir à notre tour petit enfant pour accepter de nous recevoir de notre Père du ciel, d’instant en instant, en lui le Prince de la Paix !
Alors, et de manière étrange, il se charge de nos maladies, de nos infirmités, de toutes nos haines, de toutes nos déchirures. Il n’a plus visage humain : il porte le péché des multitudes, le péché du calife et celui de tous les princes, de tous les grands de ce monde, mais aussi le mien et le tien, le nôtre. Il est condamné et mis à mort sur ordre du représentant de l’Empereur, les foules, les soldats, les autorités religieuses et civiles, tout le monde est là pour le bafouer, pour se moquer de lui. Lui, le Prince de la Paix, l’Initiateur de la Vie, il monte sur son trône de gloire, une Croix ! Il meurt, seul, abandonné de tous, homme de douleur, familier de la souffrance. Sa mort marquera un tournant dans l’histoire de l’humanité tout entière car la mort ne pouvait retenir captive le Prince de la Vie. Il sortira vivant du tombeau dans la nuit de sa Pâque, et depuis, il nous entraîne avec lui dans sa propre vie de Ressuscité. Des torrents d’amour continuent de couler de son cœur transpercé, signe efficace de son amour, pour faire jaillir la vie dans le cœur de tous les hommes de tous les temps.
Chrétiens, humbles disciples de Jésus, nous devons témoigner de ce chemin que nous ouvre l’Évangile, nous devons en témoigner par toute notre vie, en aimant et en rayonnant l’amour jusque dans les plus petites réalités de la vie quotidienne ; pour nous, il n’y a plus des chrétiens, des musulmans, des juifs, il n’y a plus que des frères à aimer. Mes seules armes ce sont l’amour et la fraternité envers et contre tout ; ma seule manière pour vaincre un ennemi, ce sera de m’en faire un ami. Je n’attendrai pas que le monde change pour commencer à aimer ; au contraire, si je veux que le monde change, alors, je dois commencer à aimer aujourd’hui et maintenant le frère avec qui je vis.
Ici, à Avignon et dans notre terre de Vaucluse, ne laissons pas la haine triompher, mais empruntons ce chemin de Vie, concrètement, sans attendre que les autres commencent : « c’est l’amour seul qui compte ». Chrétiens, musulmans, juifs, athées, hommes de tout parti ou tendance politique, ensemble posons les bases de la civilisation de l’Amour dans nos villes et nos villages, au quotidien en posant sur l’autre, d’abord et avant tout, un regard d’amour. A court terme, un tel chemin peut sembler contraire à toutes les évidences qui sont les nôtres, mais à long terme, j’en ai la conviction nous assisterons au triomphe de l’amour. Et la terre abreuvée du sang des martyrs a toujours vu se lever une moisson d’amour, source de vie pour un monde nouveau marqué par le sang de l’Agneau : aimer, c’est tout donner et se donner soi-même.
+ Jean-Pierre Cattenoz,
archevêque d’Avignon